Talibreizh est une entreprise individuelle créée par André Berthou en 2003. Elle récolte et propose une large variété d’algues de rives, de coquillages (huitres, coques, palourdes, moules) et de conserves artisanales commercialisée en direct sur les marchés de La Forêt-Fouesnant et de Quimper, ainsi que dans un petit réseau d’épiceries fines ou bio et dans une AMAP à Quimper. Les algues sont proposées brutes, en paillettes, bouillies avec des huiles et en conserves.
Après avoir exercé une multitude de métiers (moniteur de voile, aide sociale à l’enfance, maraîcher, etc… ) André décide de se mettre à son compte avec la volonté de valoriser les algues et de les faire entrer dans les habitudes alimentaires. Refusant de se placer dans une logique de traitement social du chômage quand il travaillait dans l’action sociale à Douarnenez, il voit dans la valorisation artisanale de cette filière une perspective importante en matière de création d’emplois et d’activités (récolte, transformation et recherche, dans les domaines de l’alimentaire, de la cosmétique, de la pharmacopée…). En 2001, avec un brevet professionnel de «responsable d’exploitation aquacole maritime-continentale », indispensable pour obtenir une concession auprès des Affaires Maritimes, André peut envisager la création de son entreprise.
A cause de la pression foncière sur le littoral, André n’a pu trouver un local abordable qui soit adapté à une valorisation de sa récolte dans la cosmétique (savon, shampoing,…). Il s’est alors concentré sur l’alimentation et les coquillages. Avec 500 € en poche pour lever les fonds nécessaires à son installation, le parcours de la création n’a pas été des plus faciles. Grâce à une tontine, il a pu lever 3000€ et obtenir une caution de Bretagne Développement Initiative pour un emprunt de 13000€. Malheureusement, malgré un état correct, le bateau lié à la concession n’a pas eu l’autorisation de navigation. Sans bateau, pas de concession, donc la plus grande partie des emprunts a été mobilisée pour construire un bateau neuf.
L’insuffisance de capitaux initiaux contraint André à avoir un emploi alimentaire (mise en rayon dans une grande surface) pour consolider son outil de travail. Il lui a fallu passer 4 années à occuper un double temps de travail pour gagner son autonomie professionnelle.
Jusqu’à 2005, le marché n’était pas structuré. Le régime d’autorisation accordé pour les algues en 2005 par les Affaires Maritimes précipite la création d’un syndicat professionnel de récoltants d’algues de rives (se distinguant du goémonier : récolte des algues marines par bateau avec un scoubidou ou un peigne norvégien). Mais les principaux acheteurs ne reconnaissent pas la spécificité du métier pour préserver la ressource, les conditions de vente déclarées ne permettent pas une rétribution du travail et traduisent la volonté des acheteurs de maintenir la profession dans la précarité pour réduire leurs frais d’approvisionnement. Le statut professionnel de « récoltants d’algues de rives » n’existant toujours pas, ceux qui l’exercent restent déclarés à la Mutuelle Sociale Agricole sous un régime d’autorisation spécifique en tant que petite pêche en mer.
En 2008, avec dix de ses collègues, André dépose le statut d’un syndicat autonome à la mairie de Quimper et au greffe du tribunal de commerce : le Syndicat des Récoltants Professionnels d’Algues de Rives de Bretagne (SRPARB). Ils sont depuis une trentaine d’adhérents, représentant 35 % de la profession en Bretagne. Une organisation en syndicat qui permet à André de peser dans les comités des pêches et d’être soutenu par la communauté scientifique, très préoccupée par l’évolution du milieu marin (notamment l’acidification des océans, conséquence du réchauffement climatique). André est élu au Comité Départemental des Pêches en tant que chef d’entreprise de culture marine.
Avec la communauté scientifique (Ifremer, station biologique de Roscoff, le CNRS, l’université Pierre et Marie Curie, et l’UBO de Brest), il précise les zones de récolte, les dates d’ouverture et de fermeture, et valide les pratiques de récolte afin de préserver la ressource. Une grammaire métier se met petit à petit en place et André rédige avec Agrocampus le premier référentiel métier. Avec la reconnaissance du statut, la formation sera obligatoire.
Le 6 octobre 2015 a eu lieu un vote décisif de la « commission algues de rives » du Comité Régional des Pêches Maritimes et des Elevages Marins de Bretagne sur la reconnaissance de la spécificité du métier de récoltant d’algues de rives auprès de la direction interrégionale de la mer Nord Atlantique-Manche Ouest. Comme la région Bretagne est la seule région où la profession est organisée, cette reconnaissance sera nationale. Après examen par la Direction des Pêches Maritimes et de l’Aquaculture, un projet de décret sera soumis à la signature de la ministre en charge de la mer qui reconnaîtra au plan national la profession d’algues de rives.
La reconnaissance du métier est un long combat face à des intérêts puissants. A travers la chambre syndicale des algues et végétaux marins, les industriels comme notamment CARGILL et DuPont de Nemours ont fait un intense lobbying pour qu’il n’y ait pas de reconnaissance du statut de la profession en 2001. Des algues laminaires sont extraites, les alginates, agents gélifiants naturels utilisés dans les flans, les glaces, les dentifrices (E400, E 407) et les algues sont également utilisées dans la pharmacie, la cosmétique, la thalassothérapie et servent de nourriture animale et d’engrais.
Cette victoire dépasse le seul champ des algues. Elle indique comment des rapports de force peuvent s’organiser sur le sujet de la préservation de la ressource avec l’aide de la communauté scientifique. Que la préservation d’un milieu n’est pas incompatible avec l’exercice d’une activité professionnelle, artisanale, et la création d’emploi, bien au contraire. Qu’une grammaire métier peut s’élaborer avec une profession et non lui être imposée par une norme industrielle dite de « bonne pratique ».
« Paysan de la mer en Bretagne » – documentaire réalisé par barak’art en 2010