Mode d’élevage, mode de vie, même combat.
La ferme de Kerdroual, située à Gourlizon, à proximité de Quimper dans le pays Glazik, abrite une activité d’élevage de bovins de race angus et limousine, en conversion bio depuis mai 2016. Grâce au climat tempéré de la pointe du Finistère, les animaux passent l’essentiel de l’année dehors. Ils se nourrissent d’herbe et sont soignés depuis plus de 20 ans à base d’homéopathie, d’aromathérapie et d’ostéopathie. Depuis 2011, la ferme est dotée d’un atelier de boucherie qui permet de répondre à une demande variée de viande de qualité distribuée en caissettes à partir de 5 kilos.
Après s’être fortement investi à partir de 2009 dans l’action syndicale menée au sein de l’APLI (Association des producteurs de lait indépendants), le gérant de la ferme, Gwenaël Le Berre, rejoint aujourd’hui Minga avec le souhait de contribuer à développer des filières alimentaires de proximité de qualité.
C’est au cours d’un voyage en Australie en 1998, que Gwenaël prendra goût au métier en y côtoyant des petits éleveurs australiens. A son retour en 1999, il décide de s’associer avec sa mère sur l’exploitation familiale qui, comme beaucoup de petites fermes en Bretagne, s’était spécialisée en élevage laitier et porcin. Puis en 2005, après s’être associée à un jeune voisin, l’exploitation se spécialise en production laitière. Contrairement à certaines idées reçues, les parents de Gwenaël étaient préoccupés de son choix, car il induisait un engagement sur le long terme dans un secteur professionnel fragilisé.
La famille de Gwenaël était depuis longtemps lucide sur le fait que la FNSEA servait davantage les intérêts de l’agro-industrie que ceux des agriculteurs. C’est donc assez naturellement qu’il ira manifester aux cotés de Via Campésina à Seattle, aux Etats Unis d’Amerique, en décembre 1999, pendant les négociations de l’OMC (Organisation mondiale du commerce) avec pour mot d’ordre : « Take agriculture out the WTO ». Et c’est aussi naturellement qu’il s’investira dans l’APLI, 10 ans plus tard, lors de la crise laitière de 2009, période au cours de laquelle le revenu des producteurs laitiers s’était effondré. En 2010, face au Centre National Interprofessionnel de l’Economie Laitière (L’Interprofession laitière contrôlée par la FNSEA et Lactalis), l’APLI souhaite créer une nouvelle interprofession laitière, « l’Office du Lait », dans le but de répartir équitablement les profits générés par l’industrie laitière. Fédérée à d’autres organisations sur le plan européen à travers l’European Milk Board, l’APLI a alors fondé et promu sur le plan national le projet « lait équitable » porté par « Faire France ».
L’engagement syndical de Gwenaël dans l’APLI du Finistère le conduit donc à mener des actions sur le plan régional, national et européen qui lui permettent de mieux comprendre la profession et son évolution et de prendre conscience du fait que la crise de l’élevage était une crise provoquée pour favoriser l’industrialisation du secteur.
Il en ressort convaincu que l’action syndicale agricole doit avoir, d’entrée, une portée européenne pour inverser les politiques libérales de la commission européenne en matière d’agriculture. Les déclarations, au début de son mandat en 2010, du commissaire européen à l’Agriculture et au Développement rural, Dacian Ciolos, sur la réforme de la PAC pour soutenir les petites fermes, laissait entrevoir une lueur d’espoir, mais qui fut vite déçu par la suite.
Au niveau français, mis à part des gestes de désespoir et des insurrections sporadiques, face à la complicité avérée des dirigeants de la FNSEA avec les tenants de l’agro-business — son président Xavier Beulin étant également président du groupe agro-industriel international Avril (anciennement Sofiprotéol)—, rien ne bouge de manière significative. Le manque d’unité de la profession, la culture boutiquière et corporatiste d’organisations professionnelles vieillissantes s’étant éloignées de leur base, ne permettent pas de reprendre la gouvernance des chambres d’agriculture à la FNSEA lors des élections professionnelles de 2013; celle-ci restant majoritaire dans tout le pays, y compris en Bretagne et ce, malgré la dureté de la crise agro-alimentaire.
L’engagement syndical a donc beau être nécessaire, il reste qu’il ne peut pas se mener au détriment du maintien et du développement de sa propre ferme. Gwenaël prend conscience que dans une filière intégrée comme celle du lait, il risque de devenir esclave de son outil de travail. L’élevage laitier est en soi un travail exigeant qui laisse peu de possibilité de prendre des vacances et d’avoir une vie sociale en dehors de la ferme. Alors quand en plus, le prix du lait ne permet plus de rétribuer le travail, l’évolution de l’activité s’impose.
Pour ne plus avoir à subir un prix imposé dans une filière intégrée, en examinant chaque facture, Gwenaël décide donc de reprendre en main les relations clients/fournisseurs de la ferme et réfléchit à la manière dont il peut valoriser son travail d’éleveur auprès des clients.
C’est à cette période qu’il décide de créer un laboratoire de découpe et de conditionnement de viandes (sous vide ou en surgelé) et d’embaucher un boucher à la ferme. Répondant à une demande marchande liée à l’évolution des régimes alimentaires moins carnés et soucieuse de transparence, Gwenaël mise sur la qualité. Cela le conduit à faire évoluer son activité vers un élevage de race à viande rustique, élevée à l’extérieur et avec des aliments sains, produits sur la ferme.
La réduction de l’activité de production laitière va ainsi lui permettre de mettre en culture à partir de 2018 des parcelles en sarrasin en priorité, mais aussi de lin et de chanvre Bio. Le sarrasin (blé noir), bien adapté au sol breton, était très cultivé par le passé, mais malgré une demande en croissance forte (notamment liée au régime sans gluten), plus de 80 % du sarrasin consommé en France reste importé de Chine ou du Canada.
Gwenaël pense que la crise agricole est loin d’être terminée et que la situation risque encore de s’aggraver dans les 3 années à venir et ce, alors même que la profession est déjà au fond du trou; un tiers des agriculteurs touchant déjà moins de 350 euros par mois de revenu en 2015 (source MSA).
Sa volonté de renouer des relations de proximité avec des clients et des fournisseurs l’a conduit à participer à la convention d’affaires « Alimentons nous » qu’a organisé Minga en mars 2016 à Saint-Denis. Il rejoint aujourd’hui l’association pour partager et mieux porter les raisons de son nouveau positionnement professionnel.Face à une industrialisation de l’élevage qui déshumanise les hommes et maltraite les animaux, le choix de Gwenaël, c’est celui de la reconquête de son métier d’éleveur.
Ferme de Kerdroual
Gwenaël Le Berre
29710 Gourlizon
http://gaec-omega.e-monsite.com
gaecomega@wanadoo.fr
tel : 06 76 76 95 05