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L’empressement de certains acteurs de l’économie solidaire à répondre au rapport Vercamer sur l’enjeu de la labellisation comme question clé du développement de l’économie solidaire nous préoccupe. Cela traduit la gravité de l’état de dépolitisation à laquelle en est rendue l’ESS. Quel contraste avec l’époque où nombre d’initiatives de citoyenneté économique s’en réclamant ont vu le jour par refus du traitement social du chômage ! À travers ce projet de labellisation de l’économie solidaire, il ne s’agit rien moins que de gérer les exclusions, à défaut de les combattre. Parce que ce projet de labellisation remet en cause la dimension démocratique dont est porteuse l’économie solidaire, il est un virus mortel pour l’ESS. La labellisation de l’économie sociale et solidaire risque d’être un outil de plus au service du désengagement social de l’État, participant plus ou moins délibérément à une politique de stigmatisation de la pauvreté, notamment vis à vis de ceux qui n’ont ni l’envie, ni les capacités de devenir entrepreneurs, même sociaux, fut-ce à l’aide du micro-crédit.
Le débat sur l’éthique et l’utilité sociale doit être permanent là où des acteurs se rencontrent, débattent y compris hors du champ de l’économie sociale et solidaire. À travers des systèmes de garantie(peut-on vraiment « garantir l’éthique » et certifier « l’utilité sociale »?) ce projet de normalisation de l’ESS aboutira à encapsuler une pratique sociale pour passer de la position d’ayant droit, à celle de postulant aux aides publiques. Ces aides sont octroyées en fonction de la présentation d’ un projet qui, de surcroît, doit être établi sur la base de critères administrativement imposés pour être qualifiés de socialement utile. Ce projet fait partie d’une politique de systèmes
dérogatoires tolérés alors même que c’est le droit que nous voulons faire progresser. Comme antérieurement pour le commerce équitable et plus récemment pour l’agriculture biologique, cette orientation normalisatrice de l’ESS contribue à réduire l’engagement à un argument de vente. À titre d’exemple, en quelques années, on est passé du commerce équitable aux commerces de l’équitable. C’est également vrai pour l’éco-construction avec la norme HQE, cela sera-t-il vrai pour l’agriculture biologique avec la future norme HVE, ou demain pour l’économie solidaire, les AMAPs, les circuits courts ou les éco-quartiers ?
Notre souci de faire avec, et non à la place de, indique que c’est bien la démocratie, son approfondissement, qui est au cœur du projet qui nous anime dans l’économie solidaire. La tentation est grande aujourd’hui de remettre en cause la démocratie au nom des urgences sociales et écologiques ou au nom de la complexité des problèmes auxquels nos sociétés sont confrontées.
Réaffirmer que le projet d’une économie sociale et solidaire est radicalement démocratique est d’autant plus important aujourd’hui que notre pays est confronté à une grave crise démocratique ; plus que jamais il nous faut combattre la culture de la peur et de la suspicion que la volonté de normalisation sociale ne fait qu’entretenir et aggraver.
L’idéologie de l’état de guerre économique permanent doit-elle nous contraindre à nous soumettre au règne du régime d’exception, à la tentation de vouloir normaliser la citoyenneté ? Doit on accepter qu’il n’y ait plus de désaccord politique, juste des problématiques de pédagogie, de méthode et de procédures considérant que le citoyen est un ignorant à conscientiser alors que la carence des élites intellectuelles est au moins aussi flagrante que l’ignorance supposée du citoyen ordinaire?
L’enjeu de nos engagements militants, n’est pas de faire reconnaître notre « spécificité », de préserver notre identité, mais bien de mettre à l’épreuve nos convictions, dans un contexte où se creusent des inégalités et des injustices, dans un contexte où se « tuer au travail » n’est plus seulement une expression mais une tragique réalité et où le monde du travail se ferme pour toute une génération. La brûlante actualité du taux de chômage des jeunes dans les quartiers populaires (le double de la moyenne nationale) est une réalité à laquelle l’économie solidaire, comme l’ensemble de la société française, ne peut se dérober.
Pour nous le défi prioritaire pour renforcer l’ESS c’est donc bien d’élargir son assise populaire, sa présence sociale et territoriale. Une des priorités de l’économie sociale et solidaire, c’est de contribuer à rassembler un monde du travail fractionné entre chômeurs, salariés, retraités, étudiants, artisans, commerçants, paysans, non d’asphyxier nos pratiques par des normes bureaucratiques. Toute volonté normalisatrice se jouera forcément au détriment de la diversité des acteurs, de nos pratiques, de nos modes d’organisation et de l’exercice de la vigilance éthique. Le fondement démocratique de l’ESS est le meilleur garant de son efficacité, efficacité elle-même porteuse d’élargissement de son assise citoyenne. Le voilà le cercle vertueux qu’il nous faut activer.
Minga, le 21 janvier 2011
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