Bernard Marrey nous a quittés

Compagnon de route de l’association Minga qu’il a présidée pendant une dizaine d’années, Bernard Marrey vient de nous quitter.

Bernard, avec son style parfois un peu rude, a toujours témoigné un profond respect pour un militantisme qui se place sur le registre du faire, du bâtir ensemble, de la mise en œuvre d’idées qui se confrontent à la réalité de l’économie capitaliste dans ce qu’elle a d’injuste, d’éprouvante, d’abrasive, mais force aussi toute notre créativité. À juste titre rétif aux nouvelles formes de gouvernance où personne n’assume rien, il nous a enseigné l’importance de l’esprit de la démocratie, de la délibération, de la forme qui engage à assumer une décision collective sur le fond, et à s’y tenir. Dans cette période dépolitisante du début du XXIème siècle où la pensée du tout marché allait jusqu’à s’infiltrer dans les milieux les plus « alternatifs », on mesure aujourd’hui le caractère précieux de ce qu’il nous a transmis.

Comme président de Minga, son souci de l’efficacité s’illustrait d’emblée en plaçant sa montre à gousset sur la table en début de chaque réunion, nous rappelant ainsi l’impératif du temps et l’importance d’éviter des discussions qui s’éternisent. Pour l’assemblée de « moutons à cinq pattes » que nous étions, il nous fallait cette forme d’autorité, respectueuse des enjeux qui nous réunissaient et du temps que chacun était prêt à y consacrer. Bernard l’avait.

Engagé aux Editions du Linteau, spécialisée dans les questions d’architecture, son métier d’éditeur nous a aidé à mettre de l’ordre dans nos idées et nos pensées. Il a participé à la rédaction de notre premier ouvrage « Vers un commerce équitable », notre « petit livre rouge » comme on l’aimait l’appeler pour taquiner Michel Besson . Un petit ouvrage pour répondre à l’instrumentalisation marketing de la notion de commerce équitable par la grande distribution. Comme nous, il détestait les grandes surfaces et l’évolution des « grands magasins » dont il avait souhaité retracer l’histoire . Avec nous, il a porté l’évolution de notre association pour défendre non plus seulement un commerce, mais bien une économie équitable, à commencer par faire, à partir de 2007, du sujet alimentaire une priorité politique.

À ce titre, la contribution de Bernard a été particulièrement précieuse. Au croisement de l’architecture et de l’alimentation, le sujet du foncier l’a nécessairement saisi. La réédition du livre « Utopie foncière » d’Edgard Pisani a permis à Bernard de nouer des relations chaleureuses avec son auteur, qu’il aimait aller rencontrer en scooter à Paris dans le cadre de la réédition de son ouvrage. Leurs échanges sur la gravité du sujet alimentaire, et leurs convergences de vues, les amèneront à conduire plus tard l’édition de l’ouvrage collectif, « Seule la diversité cultivée peut nourrir le monde », porté en réponse à l’OMC en 2011, rappelant ensemble combien seule la diversité pouvait « conduire à l’unité du monde ».

De l’alimentation au sujet de la semence, il n’y a eu ensuite qu’un pas qui fut vite franchi par Bernard et Catherine, son épouse. Cela s’est traduit par la réédition du « Manuel pratique de la culture maraîchère de Paris » et leurs aides à l’édition du petit ouvrage « Graines d’un Paris d’avenir ».

Bernard aimait l’architecture et la technique, et partageait avec nous le rejet des « murs d’orgueil » (pour reprendre les termes du manifeste du Bauhaus de Walter Gropius) qui entretenaient les petites vanités de classe du taylorisme. Les livrets cartes de vœux de sa maison d’édition étaient sa façon à lui de nous souhaiter une bonne année en attisant sans cesse notre curiosité.

Il aimait l’architecture comme les échanges entretenus dans l’idée de bâtir un bel ouvrage, en tant qu’aventures humaines. Cela ne l’empêchait pas d’avoir parfois une vision critique des architectes quand l’œuvre en venait à prendre le pas sur le reste (« mon œuvre ! »), notamment sur la vie des habitants et les enjeux de biodiversité. Cette attention nous a grandi.

Merci, Bernard.

À Catherine, qui a participé à tous ses engagements, et à ses proches, nous adressons nos plus sincères condoléances.