Table ronde – vendredi 10 juin 2016 – Gaîté Lyrique
« Le design participatif : une inspiration pour l’entrepreneuriat social »
Les technologies numériques offrent de telles possibilités que l’on finirait par se prendre parfois pour le capitaine des Shadocks qui demande à ses marins de prendre l’eau à l’arrière du bateau pour la mettre devant.
Certains peuvent croire que le numérique permet l’avènement d’un capitalisme sans friction, où la main invisible d’Adam Smith est contrôlée par des algorithmes du big data. D’autres, qu’il annonce la fin du capitalisme et l’avènement du socialisme. Dans bien des cas, cela revient à voir la fin de tout débat sur des projets de société en se contentant d’un consensus sur les moyens techniques. Abordé dans cette vision idéologique positiviste, limite scientiste du futur, le design peut être pris par la folie des grandeurs et être le support esthétique d’une vision totalisante de la société où le libre arbitre de l’individu n’a pas sa place, en mettant en œuvre ce que le PDG de Sun Microsystem, Scott McNealy, disait déjà en 1999 : « you have zero privacy anyway. Get over it » (« vous n’avez plus de vie privée, il faut tourner la page »).
Entre ces deux visions fantasmées du futur, il y a aujourd’hui les réalités des crues de la seine, du mal logement qui concerne plus d’un million de franciliens, les questions liées à l’alimentation, à la pollution atmosphérique, au réchauffement du climat, aux flux migratoires, au chômage et à la précarité.
Et c’est aussi et précisément dans ces réalités là que s’inventent, avec les moyens du bord, des solutions concrètes portées par des citoyennes et des citoyens qui prennent leur responsabilité en agissant sans attendre les lendemains qui chantent, sans faire table rase du passé, ni focaliser l’attention sur les résultats d’un futur outil miracle au point de ne plus voir ce qui est vraiment à l’ouvrage ici et maintenant.
Le bénéfice concret de ces technologies est de renforcer des coopérations, de permettre précisément la construction d’un design participatif qui contribue à dessiner les perspectives d’une économie de proximité à grande échelle. Une perspective positive de l’avenir où le travail et les savoir faire ne sont pas systématiquement la variable d’ajustement de tout projet de développement, où l’artisanat peut être porteur d’une vision de l’économie de proximité et de qualité qui s’adresse à toute la société.
Pour que le design soit participatif, encore faut-il donc partir du réel, des préoccupations concrètes de la vie quotidienne (logement, travail, déplacement, alimentation, santé…), de la perspective d’un citoyen qui ne peut passer sa vie dans une société de loisirs les yeux rivés sur un écran, ni sur les pentes (glissantes !) des futures pistes de ski dont veut se doter sa ville, de la vision d’un citoyen producteur de biens et de services d’intérêt général.
Et ce qui vaut pour le design vaut également pour l’entrepreneuriat social où certains acteurs sont encore persuadés que l’auto-régulation des marchés va résoudre le problème de la pauvreté, à grand renfort de technologies et de normes.
Ces interrogations et ces perspectives ont conduit l’association Minga à travailler la question d’un design participatif, dans le cadre du programme européen dénommé CHIC (Cultural Hibridization In Commun) , pour mieux penser l’articulation entre les métiers et les technologies du numérique.
Ce sont également les enjeux abyssaux soulevés brutalement et sans débat public par le bigdata sur les libertés individuelles et collectives, les solidarités et la démocratie, qui nous ont conduit à organiser, avec la coopérative libre informatique, le séminaire « Big data, big brother, big problèmes ? » le 15 et 16 septembre à Paris.