Installée sur la commune de Beauville, dans le Lot-et-Garonne, la ferme de Thierry est constituée d’environ douze hectares de terres dont quatre sont des bois et forêts. La surface consacrée au maraîchage est d’environ un hectare et comporte 1.280m2 de tunnels non chauffés. Il existe un petit verger d’une quinzaine de fruitiers (pommier, poirier, pêcher, prunier) et un poulailler d’environ 2.000m2 occupé par une quinzaine de poules pondeuses de race gauloise (blanche, grise et noire).
La totalité de la production de légumes est certifiée en bio. Le verger, quant à lui, ne produit pas encore et les pondeuses n’ont pas été certifiées, bien qu’elles soient nourries et élevées selon les conditions du cahier des charges AB, car le coût de la certification ne peut pas être amorti sur une aussi faible production. Au-delà de l’application d’un cahier des charges AB et de Bio cohérence, Thierry a fait le choix d’un mode culture agricole adapté à son activité de vente directe et en cohérence avec ses convictions du respect du vivant et du milieu dans lequel il vit.
Sa démarche se traduit notamment par le refus d’utiliser des produits non sélectifs (i.e. qui ne cible pas un ravageur particulier mais impacte tout le vivant) tel que le pyrèthre et par utiliser plutôt des purins de plantes, tels que les purins d’ortie, de prêle, de fougère et de consoude qui pour certains renforcent les défenses immunitaires naturelles des plantes. Cette cohérence professionnelle se traduit également par le refus de chauffer les serres et le fait de limiter le paillage plastique (uniquement utilisé sur ail et échalote et ré-utilisé d’année en année). Pour l’irrigation cela se traduit par le refus de faire des forages en profondeur et la mise en place d’un système de récupération d’eau de pluie sur les tunnels maraîchers; cette récupération assure une autonomie complète, toute l’année, pour l’arrosage des plants, quasiment tous auto-produits sur la ferme. Thierry privilégie l’usage d’outils à dents plutôt que des outils rotatifs qui ont l’inconvénient de perturber fortement la vie microbienne du sol. Enfin il utilise des semences paysannes (variétés de populations) et non des semences hybrides F1 (même si elles sont autorisées par le cahier des charges de l’agriculture Biologique). La ferme est membre du CIVAM Bio, de la Confédération Paysanne et du réseau Wwoof France et accueille donc des personnes intéressées par la découverte et l’apprentissage du maraîchage bio.
Thierry, comment t’es venu l’idée de passer du métier d’ingénieur exercé au sein dans un grand groupe industriel au métier de paysan ?
En fait, pendant de nombreuses années, j’ai milité au sein de réseaux altermondialistes qui m’ont ouvert les yeux sur les problématiques de ce monde, tant au niveau local qu’au niveau global. J’ai fait la connaissance de futurs membres de Minga à cette époque, avant même que ce réseau n’existe, et j’ai commencé à m’intéresser, entre autres, à la problématique de l’alimentation et de l’autonomie. Très rapidement, j’ai changé mes habitudes de consommation pour les mettre en cohérence avec ces idées que j’avais fait miennes.
Cette recherche de cohérence m’a toujours conduit à me questionner sur mes pratiques (c’est toujours le cas, d’ailleurs!) et fatalement, un jour, je me suis posé la question de mon engagement au quotidien dans mon travail. La vision du documentaire de Pierre Carles, « Attention, danger travail ! » m’a fait prendre conscience que d’autres voies étaient possibles.
Dans un premier temps, j’ai contractualisé un mi-temps annualisé avec mon ex employeur, afin de pouvoir consacré mon temps et mon énergie à des activités qui correspondaient plus à mes convictions et mes attentes.
Au bout de quelques années de ce régime à mi-temps, un nouveau projet de vie s’est naturellement présenté à moi, et ça me semblait tellement évident, que je n’ai pas hésité un seul instant !
N’étant pas issu d’un milieu agricole, comment as-tu appris ce métier ?
Je n’avais aucune expérience en agriculture ; pas même celle d’un jardin familial.
Je me suis dit que pour mettre toutes les chances de mon côté, il valait mieux me former.
Après quelques recherches sur internet, je suis tombé sur cette formation en maraîchage biologique, mise en place initialement par le réseau Nature et Progrès, ce qui était pour moi un gage de qualité. J’ai donc effectué cette formation en alternance, à Brens près de Gaillac, qui, le temps d’une année scolaire m’a permis d’acquérir les fondamentaux de ce nouveau métier. Les dix sept semaines de stage m’ont été très précieuses pour appréhender concrètement le métier.
Je me suis ensuite appuyé sur les compétences de mes collègues pour acquérir, petit à petit, un peu plus de connaissances.
Comme nous travaillons avec le vivant, c’est un métier riche en apprentissage de toutes sortes, et même après plus de vingt ans d’expérience, les collègues me disent qu’ils continuent à apprendre !
On dit souvent et à juste titre que l’accès à une terre pour s’installer est un parcours du combattant, n’étant pas un jeune agriculteur, mais lié a une reconversion professionnelle, comment cela c’est passé pour toi ?
J’ai eu pas mal de chance en fait. J’ai fait un peu le parcours inverse de la plupart de mes collègues en formation. J’ai trouvé mes terres (par le site de Terre de liens) avant de démarrer la formation. Ce qui fait qu’au final je n’ai eu aucune difficultés à trouver un lieu pour m’installer.
Comme ces terres n’intéressaient aucun des voisins la SAFER n’a pas mis son nez dedans, ce qui a largement facilité la transmission de la ferme.
Exercer en agriculture biologique est pour toi une évidence. Comment cette évidence s’est forgée ?
En tant que consommateur bio depuis de nombreuses années, il était évident pour moi, que ma production ne pouvait qu’être 100 % biologique. Toujours pour la même histoire de cohérence.
Je ne prétends pas être cohérent à 100 %, mais c’est un cheminement important pour moi. Par exemple, j’espère pouvoir bientôt, économiquement parlant, lâcher EDF et son électricité nucléaire au profit d’un réseau comme Enercoop. C’est une démarche que j’ai faite au niveau individuel et que j’espère pouvoir renouveler pour mon entreprise.
J’ai, pendant trop longtemps, été écartelé à mettre mon énergie créatrice au service d’un groupe industriel du CAC40, dont, par ailleurs, pendant mes « loisirs », je combattais les pratiques telles que l’évasion fiscale, par exemple.
Cela explique qu’aujourd’hui, mon envie est très forte de mettre toujours plus en cohérence mes idées et mes actes.
Depuis ton installation, quelles sont pour toi tes plus grandes satisfactions professionnelles ?
Tout simplement de pouvoir vivre de ce métier et d’avoir réussi mon changement de vie. Pour rien au monde je ne voudrais revenir en arrière !
Et puis aussi quelques réussites sur certaines cultures pas faciles à réussir. Je suis, par exemple, très content de réussir depuis quelques années des melons cultivés sans paillage plastique ni traitement, ce qui reste une exception, même pour une culture en bio.
Je suis aussi particulièrement content d’avoir rejoins le réseau Wwoof France qui me permet de voyager à travers le monde, par le biais de mes wwoofers, sans quitter ma ferme ! Cela me donne une ouverture précieuse au monde, car dans ce métier, on a trop souvent tendance à se laisser enfermer par son activité.
Quels sont les moments les plus difficiles auxquels tu as dû faire face ?
Ce projet d’installation a été démarré à deux, avec mon ex-épouse. Nous sommes aujourd’hui séparés et la difficulté de cette activité, même si elle n’explique pas tout, n’y est pas pour rien.
Cela a été un cap vraiment difficile à passer, plus d’un point de vue personnel que professionnel, même si les deux sont vraiment imbriqués lorsqu’on est paysan, car il s’agit plus un changement de vie que d’un changement d’activité.
Après sur le plan strictement professionnel, j’ai eu beaucoup de mal à relocaliser ma commercialisation. Il m’a fallu trois ans pour pouvoir abandonner mon marché sur la périphérie de Bordeaux (plus de quatre heures de route aller-retour), temps nécessaire pour la construction d’un réseau de distribution de paniers (en et hors AMAP). Le site internet de la ferme m’a aidé dans cette transition bien que ses effets se ressentent surtout sur le long terme. C’est le réseau AMAP qui m’a permis d’abandonner définitivement le marché plein vent.
Est-ce que tu estimes que ton travail est justement rétribué ? As tu la possibilité de prendre des congés ?
La juste rémunération du travail c’est tout un débat auquel je suis très attaché depuis les débuts de Minga, et même avant !
Objectivement, on ne peut pas dire que je suis correctement payé, si on ramène cela au nombre d’heures travaillées. Si on commence à faire ce calcul, on s’aperçoit vite que la plupart des fermes de cette taille ont du mal à dégager des marges suffisantes pour nous payer ne serait-ce qu’au SMIC horaire. On est même parfois assez loin du compte. Pour dégager plus de marge, il faudrait pouvoir travailler à deux, ou diversifier l’activité en faisant de l’écotourisme par exemple.
Cela étant dit, je considère être suffisamment payé par rapport à mes propres besoins, et c’est bien là l’essentiel ! Bien avant de m’installer en maraîchage, j’étais déjà dans le refus de cette société de surconsommation absurde, et j’ai toujours organisé ma vie de telle sorte de n’avoir que très peu de charges à payer. Donc, dans les faits, au quotidien, je ne me prive de rien et je ne manque de rien ; je considère donc être justement rémunéré tout en ayant bien conscience que cela ne pourrait pas être le cas de tout le monde.
Au sujet des congés, c’est délicat d’en prendre quand on travaille seul sur une ferme, car les légumes ne s’arrêtent jamais de pousser ! Je profite quand même de la période d’hiver où la nature est au quasi repos pour m’absenter pendant deux semaines.
Si je devais augmenter cette période d’absence, il me faudrait trouver un remplaçant sur la ferme, et donc les moyens économiques qui vont avec. Aujourd’hui ce n’est pas d’actualité.
As-tu des projets ?
Je voudrais diversifier les ressources économiques de l’entreprise pour pérenniser son activité, car, à ce jour, il manque un peu de chiffre d’affaire et de trésorerie pour tenir sur du long terme (disons cinq ans). Le développement de l’écotourisme est une piste que je vais peut être explorer prochainement.
Quelles sont les raisons aujourd’hui qui t’ont conduit à adhérer à Minga ?
Comme je l’ai dit plus haut, je connais Minga depuis sa création. J’ai même été pendant longtemps membre de Minga à titre individuel, donc les valeurs défendues par le réseau sont miennes depuis longtemps.
L’EARL n’a rejoint Minga que cette année pour des raisons économiques. Maintenant que ma trésorerie s’est améliorée grâce au développement de la vente locale de paniers, je peux me permettre économiquement d’adhérer.
Minga en tant qu’organisation professionnelle et politique défend une approche non corporatiste. Comment appréhendes-tu notre positionnement dans un milieu professionnel agricole où le corporatisme est très prégnant ?
Le corporatisme dans le monde agricole est un vrai problème. D’un côté, il existe ce syndicat majoritaire qui est complètement en décalage par rapport à la société civile et ses attentes, et de l’autre des mouvements (syndicaux ou autres) qui eux sont en adéquation avec les attentes de citoyens mais qui ne trouvent aucun relais auprès des pouvoirs publics, sauf dans des discours de façade. L’hypocrisie du ministre actuel qui parle d’agroécologie dans presque tous ses discours et qui par ailleurs soutient, en sous main, des projets comme la ferme des mille vaches n’en est que la sinistre démonstration.
Trouver sa place dans ce contexte n’est pas chose facile. La tentation du repli sur soi est grande ; il est facile de se dire, « je vais construire ce monde vertueux sur ma ferme, et par contagion ce « modèle » pourra se répandre peu à peu ».
Il est incontestable, selon moi, que le changement vers une économie vertueuse ne pourra venir que du bas (il ne faut rien attendre des représentations politiques qui seront toujours en retard sur la société civiles et ses aspirations). A ce titre, les initiatives individuelles sont évidemment les bienvenues et à encourager, mais seules, elles seront insuffisantes.
Des réseaux, comme celui de Minga, agissent, selon moi, comme un catalyseur de ces expériences individuelles permettant ainsi de démultiplier leur impact. L’important est de faire en sorte que ces réseaux soient libres dans leur expression ; libres de toute forme de pression économique ou dogmatique. Pour moi, Minga fait partie de ces réseaux et je suis heureux de pouvoir y contribuer.
EARL Coteaux Nature
Las Condios 47470 Beauville
05.53.96.36.59 (en soirée uniquement)
http://www.panierbio47.fr