Il est toujours difficile de rester lucide quand on est sur un marché qui connaît un niveau de croissance record depuis plus de deux ans (+ 20%) et que cela indique, fort heureusement, une attention grandissante pour la qualité de l’alimentation. Mais si la bio est née en réaction à l’industrialisation de l’agriculture, elle est entrain de devenir l’avenir de l’agro-industrie et peut-être, demain, le support à l’usage de nouveaux OGM.
Les ruptures d’approvisionnement sont de plus en plus fréquentes, les prix commencent à monter et l’ensemble des GMS et des acteurs du numérique investissent désormais massivement sur ce marché. Sans parler du rachat de Whole Foods par Amazon, les ambitions affichées d’un groupe comme Carrefour sur la bio pour 2022, de 5 Md€, représentent à elles seules la totalité du marché actuel de la bio dans les grandes surfaces et magasins spécialisés français.
Dans ce contexte, fut-il animé des meilleures intentions du monde, aucun discours militant n’assurera à lui seul la sécurisation des approvisionnements des circuits alternatifs aux filières industrielles. À l’inverse, raisonner seulement en terme d’exploitation commerciale, sans prendre le temps de voir à plus long terme et en dissociant totalement les aspects économiques des enjeux politiques et de sociétés (ou en les réduisant uniquement à des positions de communication), c’est vite se retrouver sur le même terrain que les GMS et Amazon.
La situation engage à sécuriser les approvisionnements par davantage de coopérations autour d’un projet commun qui permette l’accès à une qualité d’alimentation pour tous*. Un projet qui appelle à entretenir ensemble un niveau d’ambition suffisamment élevé pour ne plus se limiter à alimenter une niche de marché, et à s’organiser pour s’adresser à toute la société, y compris à ceux qui se battent dans une grande surface pour bénéficier d’une promo sur de la pâte à tartiner.
Sécuriser les approvisionnements par la coopération, c’est saisir combien l’attrait grandissant pour des légumes, des céréales et des aromatiques issus de semences de variétés-populations donne l’occasion de repenser les circuits alimentaires, en partant de semences qui ne peuvent s’adapter à des logiques de massification et de standardisation (c’est d’ailleurs une des raisons qui a conduit les industriels à les écarter du marché, comme ils l’on fait avec les races rustiques) et d’un soutien à la promotion du métier d’artisan semencier qui permette de gagner en autonomie le long des filières.
Sécuriser les approvisionnements par la coopération, c’est aussi peser politiquement sur des choix d’aménagement du territoire afin de permettre le développement d’infrastructures logistiques (port urbain, circuit fluvio-maritime, lieu d’entreposage en ville, livraison vélo au dernier kilomètre…) adaptées à une livraison décarbonée des volumes de taille intermédiaire.
Et c’est également investir ensemble dans des outils numériques qui permettent de maîtriser les données produites par son activité (logiciel de caisse, ERP…etc) et d’éviter ainsi les fuites de Valeur Ajoutée.
Autour du sujet des communs que sont les semences de variétés-populations et les logiciels libres, se dessine un nouvel horizon pour l’agriculture biologique : la perspective de réconcilier le bio (en tant que marché) avec la bio (en tant que projet de société).
*Sur le même sujet, voir aussi le communiqué du 10 mars 2017 : « La bio, l’avenir de l’agrobusiness ».