Au regard des injustices et violences infligées au monde du travail par l’économie dominante, nous ne pouvons qu’être unanimement convaincus par l’économie solidaire. Mais, à l’exception de la loi sur l’ESS, comment ne pas être étonné de son absence dans le débat public alors que l’actualité lui donne quotidiennement du grain à moudre ?
Alors même que la dégradation des conditions de production et des rapports au travail conduit à chercher des alternatives, le sujet du travail est peu présent dans l’économie solidaire. Tout se passe comme si les valeurs de l’Économie Solidaire, étaient devenues des «éléments de langage», soulignant un décalage entre les mots et la réalité des faits. Pas étonnant que l’économie solidaire soit si poreuse à l’idéologie néo-philanthropique du social business véhiculée par le mouvement des entrepreneurs sociaux.
Sauf à légitimer un discours, une politique, un dispositif, l’examen d’une pratique est systématiquement refoulé, comme si cela participait d’un désenchantement de la cause défendue! L’examen d’une pratique, et non son évaluation, est trop souvent abordé avec inquiétude, de peur de se perdre dans des détails, de peur de pointer des contradictions jugées honteuses, à tort, comme si toute pratique devait être exemplaire, n’avoir pas droit à l’échec, à l’erreur, au tâtonnement.
Or, force est de constater que dès que l’on «fait pour de vrai», que l’on souhaite réaliser un travail de qualité et qu’il fasse sens, on se retrouve en difficulté dans une économie standardisée, hautement financiarisée. Faudrait-il que cette situation, largement partagée dans le monde du travail, quel que soit le statut des travailleurs et le type d’entreprise, disparaisse comme par magie parce que l’on travaille dans l’économie solidaire ?
Combien d’acteurs de l’économie solidaire se retrouvent coincés entre le souci de bien réaliser une action, dont le bilan réel intéresse moins les commanditaires que son évaluation bureaucratique changeante, et la nécessité de formuler en permanence des projets «innovants» ? Faute d’avoir accès au capital et de pouvoir consolider des fonds propres, le modèle de gestion dans le champ de l’économie solidaire contraint souvent à précariser le travail de production et à se doter de cadres administratifs pour «faire du dossier», se conformant à une organisation du travail très classique.
Et pourtant, partir de l’examen des réalités du monde du travail, et de son propre travail, est peut être la meilleure manière de redonner le sens d’un engagement dans l’économie solidaire, de la rattacher à une filiation et à une histoire qui remonte bien avant les années 1970, et de repolitiser son action, d’avoir une expression qui rassemble. Partir du travail, c’est découvrir des réalités de métiers qui dépassent le seul champ de l’Économie Solidaire, trouver des problématiques communes autour desquelles se rassembler pour former de nouvelles alliances dans la société et partager une perspective de nouvelles conquêtes démocratiques.
En espérant prochainement vous rencontrer pour débattre de l’élargissement de l’Économie Solidaire au monde du travail et des métiers, notamment en ce qui concerne les activités artisanales et le commerce de proximité. Et pour aborder les sujets de la transparence économique, de l’accès au capital et de la nécessité de revendiquer un régime universel de protection sociale fondé sur une solidarité interprofessionnelle.
Minga, le 9 juin 2015