Créée en 2006 par Christophe Tréguier, Moscati est une épicerie fine de produits artisanaux italiens située à Saint-Sébastien-sur-Loire, dans l’agglomération nantaise. Engagé dans le slow food et passionné par la gastronomie italienne, Christophe décide avec l’aide de sa femme de rendre accessible des produits de terroirs, porteurs de traditions culinaires. Il change de métier, passant de cadre logistique à épicier ! Là où certains voient ce parcours comme un déclassement social, d’autres (et notamment sa famille) soutiennent sa démarche et assument ce changement comme une forme d’accomplissement personnel et professionnel. Moscati révèle le goût prononcé d’une qualité de vie où se réaliser dans son travail est en prise avec un enjeu de société essentiel : bien manger.
Comment l’idée de créer une épicerie t’est venue ?
Principalement par goût de la gastronomie italienne que ce soit au travers de séjours en Toscane ou en fréquentant des épiceries et restaurants italiens lorsque je vivais sur Paris. J’ai très vite été attiré par cette culture gastronomique qui propose une diversité considérable de plats. Contrairement à la cuisine française souvent très élaborée, la cuisine italienne repose sur une association simple de matières premières de qualité. L’exemple le plus typique est la multitude de combinaisons possibles à partir de pâtes.
Lorsque je me suis installé sur Nantes en 2002, j’ai constaté que l’offre en matière de gastronomie italienne ne correspondait pas à mes attentes. Beaucoup d’épiceries ou restaurants italiens en France font leurs achats auprès des mêmes importateurs/distributeurs et de fait proposent des produits identiques et non représentatifs de la diversité que l’on trouve sur place.
Après avoir exercé pendant presque 15 ans dans le secteur de la logistique, notamment 8 ans dans la restauration collective où j’ai cotoyé l’industrie agro-alimentaire, j’ai décidé d’associer mes compétences professionnelles (achats, gestion des stocks,..) à cette passion de la cuisine italienne.
Ce projet est né d’une envie forte de proposer une offre de produits qualitatifs issus de petits producteurs et d’artisans. L’objectif était et reste d’établir une relation de proximité avec le producteur/artisan en évitant les intermédiaires, quand cela est possible. C’est ce qui apporte tout son sens à ce métier de commerçant qui est d’offrir un service.
Quand on n’est pas du métier, que ses parents n’ont pas été commerçants ou artisans, comment fait-on le grand saut ?
Passer de l’autre côté a été difficile. D’autant que je ne suis pas issu d’une culture familiale d’entreprenariat, bien au contraire puisque mes parent étaient tous deux salariés, l’un de la fonction publique l’autre d’une filiale de la Régie Renault. Mais une fois que l’on a osé mettre un pied sur l’autre berge, tout s’enchaine et va très vite.
Quelles ont été les aides les plus décisives pour mettre le pied à l’étrier ?
Pour commencer l’adhésion de ma femme à ce projet mais aussi le soutien de proches qui à travers des mots d’encouragement pouvant paraître anodins m’ont permis de relever la tête dans des moments de doute. J’ai largement bénéficié de l’aide de Pascal Foucher et de sa femme Caroline, propriétaires de la maison Fossati sur Reims. Grâce à eux, j’ai pu avoir accès plus rapidement à un réseau d’artisans manufacturiers. Leurs conseils ont été précieux quant au référencement des produits et à la manière dont ils étaient fabriqués.
J’ai aussi participé à une formation à la création d’entreprise délivrée par Quatre Mâts Développement qui m’a permis de construire un vrai projet avec une identité forte.
Quels ont été les moments les plus difficiles qui t’ont fait douter de tes choix ?
Les 5 premières années ont été extrêmement difficiles pour beaucoup de raisons, entre autres parce que les produits alimentaires italiens ont un certain coût, qu’il faut prendre du temps pour éduquer les clients à la notion de qualité et expliquer pourquoi la qualité à un coût.
Par exemple, je propose en magasin une purée de tomate de chez Paolo Petrilli, installé dans Les Pouilles, au sud de l’Italie. Pour produire cette sauce tomate, Paolo cultive ses propres semences de tomates autochtones. Ici, il n’est pas question de rentabilité, mais de produit et de terroir. De plus, il ne récolte que les fruits à pleine maturité, écartant tous ceux qui ne sont pas conformes à son exigence notamment s’ils sont piqués par un ver. Et il travaille en bio. Ces éléments justifient l’écart de prix avec une sauce dite made in Italy dont les tomates proviennent de Chine mais sont conditionnées en Italie.
Les difficultés ont aussi été liées à des raisons conjoncturelles avec la « crise » de 2008, mais aussi structurelles liées à des travaux importants dans le centre-ville où j’exerce qui ont entraîné une baisse de fréquentation importante à l’époque.
Quels sont les moments où tu as été pleinement satisfait et heureux d’avoir fait ce choix ?
Malgré les moments difficiles, j’ai toujours été heureux d’exercer ce métier de partage et de transmission des plaisirs de la table. Je considère que bien manger ne doit pas être réservé à une élite, tout le monde doit y avoir accès. Depuis le commencement de cette aventure, j’ai prôné l’idée du consommer moins, consommer mieux qui tend à se développer aujourd’hui. Les différentes crises alimentaires passées ainsi que les reportages dans les médias contribuent à cette prise de conscience des consommateurs. Finalement, les révélations de ces crises et des « excès » que ce modèle économique engendre, contribuent d’une certaine manière à revaloriser le travail de certains producteurs/artisans qui n’ont jamais abandonné leurs convictions, et renvoie le consommateur vers le commerce de proximité qu’il a longtemps délaissé.
Cette satisfaction est d’autant plus grande aujourd’hui que l’on connait (enfin) une progression de l’activité avec une diversité de consommateurs. L’image d’un magasin « de luxe » est aujourd’hui dépassée. Les changements d’habitudes alimentaires s’opèrent, la notion du « consommer moins, consommer mieux » que je défends depuis 10 ans, est de plus en plus comprise et partagée par de plus en plus de consommateurs.
Nos rencontres avec les producteurs en Italie sont aussi de grands moments. Les échanges sont forts et sources d’enrichissement professionnellement mais aussi humainement. Elles donnent là aussi tout son sens au métier d’épicier qui n’est finalement qu’un passeur entre le producteur et le consommateur.
Gwénaëlle, que t’apporte ton implication dans l’entreprise Moscati dans ton activité de consultante en communication développement durable et RSE pour des collectivités et des entreprises ?
D’abord pour user d’une métaphore, je dirai que Moscati est notre bébé. Mais un bébé dont Christophe est la mère et moi le père. J’ai contribué à sa création, mais Christophe a porté ce bébé, il en a assumé la gestation dans la phase de création d’entreprise et le nourrit depuis sa naissance, entretenant avec lui une relation bien plus fusionnelle que moi, qui suis plus détachée car présente seulement occasionnellement à la boutique. Je l’accompagne comme un père attentionné, j’apporte mon soutien moral et mes compétences en communication. Et heureusement cette distance, m’a permis d’aider Christophe dans les moments difficiles, en lui apportant du recul, des suggestions de solutions quand il était sur le point de baisser les bras. Ces moments où on se dit « J’arrête l’allaitement, c’est trop dur, je vais acheter du lait maternisé ! », …
Aussi mon implication dans l’activité de Moscati est une manière concrète pour moi de faire de la recherche action sur des sujets qui me tiennent à cœur dans mon travail, notamment l’agriculture et plus largement la question de l’alimentation comme enjeux économiques et de développement durable de notre Société. L’accompagnement de cette activité me permet de vivre pleinement mes convictions. Avec l’activité de la boutique, je ne suis plus dans le conseil mais bel et bien dans le « faire », l’action. Avec Christophe, j’expérimente, j’observe et j’apprends avec lui sur les réalités de la petite entreprise. Je garde ainsi les pieds sur terre.
Comment assumez-vous à travers votre activité commerciale l’identité de Minga d’être « producteur d’intérêt général » ?
Les produits alimentaires ne sont pas des biens de consommation anodins. A travers les choix agricoles et les modes de production, le marché de l’alimentation façonne l’économie, détermine notre quotidien social et environnemental. Il représente aussi un enjeu de société fort en termes de santé publique. A son échelle et à travers sa démarche commerciale et son développement, Moscati soutient les artisans de l’alimentation d’un bout à l’autre d’une filière, contribue à préserver les métiers et les savoir-faire. Et surtout, nous défendons l’idée d’une alimentation saine et de qualité sur le plan gustatif et nutritionnel, accessible à tous.
Aujourd’hui, l’entreprise crée peu de profits, mais elle remplit sa fonction sociétale. Ce commerce de proximité qui propose une offre de produits de qualité répond aux enjeux de bien-être et bien vivre ensemble. Il privilégie les circuits de proximité avec des producteurs – artisans eux-mêmes engagés dans des démarches vertueuses… dont il valorise les savoir-faire, démontrant ainsi qu’une mondialisation vertueuse est possible.
Quels sont vos projets de développement ?
Il m’arrive d’être démarché par des détaillants ou créateurs désireux de travailler autrement, d’éviter les circuits de distribution traditionnelle, de sortir de l’approvisionnement sur catalogue et de la standardisation des produits. Les détaillants franchissent souvent difficilement le pas compte tenu des contraintes du petit commerce de détail (réalités économiques difficiles, budget et trésorerie insuffisants) et du travail colossal que représente la sélection des produits et la recherche de petits producteurs, sans compter les problématiques de livraison ou d’approvisionnement (petites commandes coûteuses), de logistique et de suivi commercial. D’où l’idée de développer un service de mutualisation des achats et de logistique.
Moscati est en capacité de proposer des produits de qualité, encore peu diffusés sur le marché français : pâtes, huile, panettone, biscuits italiens, vins, … Nos clients partenaires pourraient profiter pleinement de l’expérience de la boutique Moscati et de son expertise tant dans la connaissance des produits que de la vente.
En mutualisant les achats et les coûts de transport avec d’autres épiceries ou restaurants, nous renforçons la rentabilité de nos activités respectives, tout en respectant l’indépendance des uns et des autres. Nous avons commencé à travailler avec quelques détaillants. Cette première expérience nous a appris que pour que cela marche, il faut partager la même philosophie, les mêmes valeurs, une éthique professionnelle. Notre présence à la Convention d’affaires « alimentons-nous » répond à cette envie de rencontrer des professionnels que nos produits et notre démarche pourraient intéresser.
Après un long compagnonnage avec Minga, quelles sont les raisons qui vous invitent aujourd’hui à nous rejoindre ?
Je suis impliqué depuis de nombreuses années dans l’association de commerçants de ma commune et je sais la difficulté de faire bouger les gens. Il me semble important si l’on veut faire évoluer les choses d’être acteur sans attendre que d’autres s’en chargent. Et Minga défend des valeurs autour du travail, de l’économie que je partage. L’association incarne nos convictions profondes. Nous refusons l’idée d’une fatalité, celle d’un monde qui va mal, sur lequel nous n’aurions pas de prise. Nous sommes au fil du temps devenu pleinement conscients que le changement ne peut se réaliser qu’à l’échelle des individus, en s’impliquant.
Moscati
3 rue Jean Macé
44230 SAINT-SEBASTIEN SUR LOIRE
T. 02 40 31 82 37
www.moscati.fr
moscati(at)orange.fr
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