L’adoption le 19 avril par le parlement européen d’un nouveau règlement de l’agriculture biologique facilitant les conditions de commercialisation des semences paysannes, diversifiées et évolutives, par et pour les agriculteurs bio, apparaît aujourd’hui comme une grande victoire. Quand très peu de maraîchers produisent leurs propres semences et plus de 85% des légumes produits en bio sont issus de semences industrielles, homogènes et stables, de type hybrides F1 ou lignées pures, à première vue, on ne peut en effet que se réjouir.
Mais cette libéralisation (toute relative1) du marché de la semence ouvre aussi largement la voie aux nouveaux OGM qui ne sont pas reconnus comme tels par la législation et peuvent très bien rentrer dans la définition de cette nouvelle catégorie de «matériel hétérogène biologique»2 autorisée à la vente.
Le règlement bio ne précisant pas ce que sont les « procédés de sélection en AB » (art 3.58), les nouveaux types d’OGM obtenus par les semenciers industriels à l’aide de biotechnologies pourront donc largement se diffuser. En n’ayant plus besoin de s’acquitter des frais d’inscription au catalogue des variétés ni de satisfaire aux critères de distinction, d’homogénéité et de stabilité (DHS) — une aubaine pour ces nouvelles créations qui sont précisément beaucoup plus difficiles à stabiliser—, ces obtenteurs verront s’alléger d’autant leurs coûts de recherche et développement.
Considérer que le marché de la semence ainsi libéralisé pour la bio sera automatiquement favorable aux semences paysannes :
- C’est nier la faiblesse des moyens de production de leurs artisans et l’état des rapports de force syndicaux et associatifs en présence.
- C’est manquer de lucidité sur les mutations du capitalisme et les convergences qui peuvent parfois relier des associations de protection de l’environnement à des grands groupes agro-alimentaires ou à des géants de la distribution.
- C’est ne pas voir la forte offensive de l’idéologie scientiste du transhumanisme qui traverse aussi le secteur agricole et alimentaire, et nous promet l’avènement d’un « Homme augmenté », dans une société diminuée et une nature artificialisée.
Ne nous racontons pas d’histoire, ce règlement est d’abord fait pour accélérer l’industrialisation de la bio qui préfigure l’avenir de l’agro-business.
Les champions de la pétrochimie à usage civil et militaire qui ont traversé le XXème siècle comme Bayer et BASF, sont aujourd’hui les champions des biotechnologiques. Le rachat de Monsanto par Bayer s’inscrit dans une révolution autant technologique qu’anthropologique. Leurs ambitions : prendre le contrôle de notre alimentation par la semence.
Il est temps d’être lucide : malheureusement, il n’y aura pas de transition écologique douce. La résilience dépend du niveau d’ambition et des moyens que l’on se donne ensemble, à partir des territoires, en engageant des dynamiques de coopération entre les métiers (agriculteurs, artisans semenciers, cuisiniers, épiciers,…) pour promouvoir une économie de proximité de qualité à grande échelle. Car dans un contexte de régression démocratique, c’est bien à partir des territoires et d’une diversité cultivée que nous pouvons produire de l’intérêt général.
1 – Ce nouveau règlement demandant de renseigner systématiquement les parents utilisés, cela laisse notamment penser qu’il s’agit avant tout d’une ouverture pour les obtenteurs, plus que pour les paysans qui voudraient vendre des semences de variétés-populations (les parents de ces dernières ne pouvant être précisément « tracés » vu les procédés de sélection massale, par pollinisation libre, utilisés par les artisans semenciers). La seule marge de manœuvre est l’exigence de tracer non seulement les parents mais leur mode d’obtention. Par ailleurs, cette réglementation n’exonère pas les agriculteurs bio de s’enregistrer comme semencier auprès du GNIS et de répondre aux normes notamment sanitaires qui vont avec.
2 – Le terme de « matériel » indique bien en lui-même une vision réductionniste du vivant, réduit à un code génétique.