« Là où l’individu n’y reconnaît plus rien par lui-même, il sera formellement rassuré par l’expert. Il était auparavant normal qu’il y ait des experts de l’art des Étrusques ; et ils étaient toujours compétents, car l’art étrusque n’est pas sur le marché. Mais, par exemple, une époque qui trouve rentable de falsifier chimiquement nombre de vins célèbres, ne pourra les vendre que si elle a formé des experts en vins qui entraîneront les caves à aimer leurs nouveaux parfums, plus reconnaissables. Cervantès remarque que « sous un mauvais manteau, on trouve souvent un bon buveur »
Guy Debord – « Commentaires sur la société du spectacle » – 1988 Éditions Gérard Lebovici
Depuis quelques années, un certain nombre de vigneronnes et de vignerons, amoureux de leur métier, repartent de la base et remontent à la racine du vin : un produit réalisé à base de fermentation de raisins frais, rien d’autre, et c’est en soi, toute une aventure. Elle appelle du métier, beaucoup de savoir-faire et un goût prononcé pour la recherche et la curiosité.
Ces vigneron(ne)s assument cette exigence de qualité qui les tient tout au long du processus de production du raisin, en partant du soin accordé à la qualité d’un sol jusqu’à ce qu’il se passe dans l’ombre d’un chai (là où s’effectue la vinification). Cette démarche a un nom qui se distingue par l’appellation « vin au naturel » qu’a qualifié François Morel. Elle regroupe des vigneron(ne)s qui refusent qu’un cahier des charges standardisé s’applique à leur travail sans respecter les spécificités d’un sol et la singularité d’un lieu. La base même de ce que devrait être une appellation d’origine. Le paradoxe c’est que cet engagement de qualité ne va pas sans risque ; certains allant notamment jusqu’à perdre leur « appellation d’origine contrôlée ».
Ce n’est pas le marché ni le profit qui les anime, mais d’abord et avant tout le désir d’être fier(e)s de réaliser un produit de civilisation, apprécié des buveurs, des sommeliers, des restaurateurs, d’ici jusqu’au Japon, aux Etats Unis et au Canada.
Depuis que le phylloxéra a ravagé la quasi totalité des cépages au début du siècle, 95 % du vignoble français est cultivé en chardonnay, merlot, pinot et autre syrah alors qu’il y a 250 cépages autorisés. En tout, 150 cépages de cuve sont cultivés sur les 400 identifiés. Ce manque de diversité génétique cultivée fragilise aujourd’hui dangereusement le vignoble. Dans ce contexte, remettre en culture de vieux cépages, c’est aussi observer un principe de précaution économique pour la filière du vin.
A l’image de la filière du livre par exemple où, sans libraires indépendants, les éditeurs seront soumis exclusivement aux marchés (adieu les livres de poésie !), il peut en aller de même pour la viticulture de qualité : sans caviste, curieux de découvrir et de partager la richesse et la subtilité des saveurs issues des vignobles, le vin deviendra une boisson industrielle conçue par la chimie. Comme un libraire, un caviste conduit une politique d’assortiment de bouteilles à « rotation rapide ou lente », ne serait-ce que pour permettre à certains vins de vieillir, afin d’accompagner la découverte d’une diversité de goûts qui va au-delà des « étiquettes ».
C’est le parti pris défendu par Florence et Bruno de la Vinothèque de Saint-Denis que de faire découvrir ainsi, non seulement des vins, mais aussi des vigneron(ne)s, comme une librairie propose de rencontrer des auteurs. Parler de « vins d’auteur » n’est sans doute pas le fruit du hasard. A l’instar des artisans-semenciers qui sont amenés à rappeler que la qualité d’une variété tient à l’harmonie qui s’opère entre « une graine, un terroir et des hommes », il en va de même pour la qualité d’un vin : « Un sol viticole existe en lui même, mais le terroir n’a pas d’existence hors de sa valorisation par l’homme »1
La « politique d’assortiment » de vins suivie par la Vinothèque de Saint-Denis, construite sur des relations de confiance, fondée sur le respect du travail et de l’intégrité écologique de ses fournisseurs, relève d’une approche du métier, partagée et recherchée. Elle est un solide point d’appui pour développer des politiques de coopération avec des cavistes, des bars et des restaurants qui refusent que leur engagement en matière de choix et que la dégustation de bons produits soit considéré comme une démarche élitiste.
Dans le même esprit que celui qui anime l’OPASE 2, la Vinothèque de Saint-Denis et Minga s’engagent dans une logique de co-dévelopement pour promouvoir une alimentation de qualité accessible à tous, notamment sur la métropole de Paris. Un programme qui appelle à la coopération de tous ceux qui aiment travailler, partager et déguster de bons produits; à celle de tous ceux pour qui la responsabilité professionnelle en matière sociale et écologique n’induit pas un renoncement au plaisir. Bien au contraire !
A votre santé et à très bientôt !
La Vinothèque de Saint-Denis et Minga
2 L’Organisation professionnelle des artisans-semenciers européens, lancée depuis septembre 2016 : http://minga.net/2016/09/29/lorganisation-professionnelle-des-artisans-semenciers-europeens-une-belle-avancee-vers-la-reconnaissance-dun-metier/