A l’heure où nous traversons une crise institutionnelle majeure, il semble impératif d’ouvrir dans tous les territoires des débats qui clarifient le projet de société défendu à travers nos divers engagements; des débats qui mobilisent toutes les personnes confrontées au tensions et violences que la situation engendre, y compris les syndicats, les élus locaux, les associations, les entreprises et leurs réseaux, sans plus se raconter d’histoires ni en conter à d’autres. L’importance de mener un tel débat ouvert à l’ensemble de la société, nous l’avons longtemps porté dans le milieu de l’Economie Sociale et Solidaire (ESS), sans grand succès1. Se positionnant le plus souvent du « côté du manche », ses têtes de réseau n’ont cessé de se couper de celles et ceux qui relèvent précisément leurs manches. Mais il est toujours temps. Ce texte est une nouvelle invitation à ouvrir le dialogue, pour en finir avec un corporatisme délétère et renforcer les luttes et les initiatives portées par la même perspective émancipatrice que l’ESS à ses débuts.
La hausse du prix de l’énergie et de denrées alimentaires, couplée à des ruptures d’approvisionnement (bois de construction, composants électroniques, etc.), est une réalité bien concrète dans la vie quotidienne de bon nombre d’entre nous. Nous vivons tous une hausse brutale de l’inflation inédite depuis plus de 40 ans, tellement inquiétante et lourde de conséquences sociales qu’elle est paradoxalement peu présente dans le débat public et absente du débat électoral. Seul un chèque de 100 € de compensation est proposé sous condition de ressources!
La transition économique des territoires, directement impactée par l’inflation, ne fait l’objet d’aucun investissement politique ambitieux.
Alors que le prix des engrais azotés a été multiplié par trois en un an, les politiques en matière de transition écologique restent arc-boutées à la « croissance verte » :
Des drones, des méthaniseurs, des gadgets numériques mais rien pour mettre à profit les départs en retraite massifs (près de la moitié des exploitants agricoles d’ici 10 ans), rien pour faciliter l’installation des jeunes en agriculture par une réforme foncière ambitieuse (plafonnement de la taille des exploitations, offices fonciers, bail de carrière, dissuasion fiscale de changement d’affection des sols…). Résultat, beaucoup d’entre eux paient au prix fort leur installation : RSA pendant des années, conditions de logement indignes, etc.
Ce sont des logiques de massification, de flux tendu et de « juste à temps » qui aménagent le pays, avec le déploiement des « market places » comme Amazon, la concentration des flux de marchandises autour de HUBs portuaires (le Havre, Amsterdam) au prix d’une évolution exponentielle du fret routier, au détriment du ferroviaire et du maritime côtier. Comment s’étonner alors que les ports de la façade atlantique soient délaissés ou en déclin ?
Il est pourtant clair que la massification des flux par des porte-containers géants n’empêche nullement les ruptures d’approvisionnement et qu’elle est totalement antinomique avec la réduction drastique des émissions de GES dans laquelle nos sociétés doivent s’engager par un développement économique territorial plus résilient.
Tout comme la crise sanitaire et la crise environnementale, la forte inflation ne sera pas une parenthèse. Elle marque sans doute la fin de la mondialisation marchande, mais pas forcément celle de la globalisation économique. En attendant, nous sommes engagés dans une transition sauvage et elle est déjà très douloureuse pour bon nombre d’entre nous.
Il y a urgence à rejoindre les luttes et les initiatives de citoyenneté économique qui font face et répondent localement au défi climatique, aux inégalités, à l’accueil de migrants, à une liberté d’expression de plus en plus surveillée et menacée.
Soyons encore plus solidaires entre nous, mais aussi nettement plus ambitieux dans nos objectifs de transition, et nettement plus exigeants politiquement envers ceux qui sollicitent nos suffrages .
La toute récente convention passée entre Graines de liberté – Hadoù ar frankizet Terra Libra indique bien que l’on peut concevoir des filières professionnelles où la satisfaction d’un besoin ne se fait pas au détriment du travail et des métiers de celle ou celui qui tient à y répondre, ni de leur environnement. Ici, des femmes et des hommes qui sèment, élèvent, récoltent, trient, testent, stockent, ensachent, livrent des semences de variétés-populations, conseillent la clientèle et administrent ces initiatives.
Nous invitons les commerçant·e·s, associations, entreprises, particulier·e·s à participer au développement de cette filière; par la promotion et diffusion de ces semences variétés population, libre de droits, reproductibles cultivées en Bretagne par l’achat des graines disponibles chez Terra Libra :
Valoriser les métiers qui coopèrent avec le vivant, c’est capital pour nourrir nos humanités!
Stéphanie Saliot – pépinière « des fruits des fleurs » – productrice de semences pour « Graines de liberté »
Depuis 2008, Minga s’engage pour le développement d’une alimentation nourricière qui soit accessible à tous, et parmi les leviers à activer d’urgence, le sujet des semences est vite apparu comme central. Alors même que la culture de semences variétés populations participe activement à une lutte contre l’érosion de la biodiversité et la malbouffe, l’engagement professionnel des artisans semenciers relève trop souvent de la précarité.
Aujourd’hui, les professionnels et citoyens qui veulent en cultiver sont de plus en plus nombreux. Mais le métier d’artisan semencier reste trop peu valorisé pour répondre à la demande. Considérant ces semences comme un patrimoine culturel vivant ne relevant pas du droit de propriété, rétribuer ce travail sans en passer par un dépôt de titre de propriété privée, reste donc un défi.
Dans ce contexte Minga considère la création de « Graines de Liberté – Hadoù ar Frankiz », une coopérative semencière artisanale de l’Ouest Breton, comme un acte majeur d’intérêt général. En visant à rétribuer décemment le travail de production, de sélection, de recherche ainsi que la transmission des savoirs professionnels de semences de variétés populations, « Graines de Liberté – Hadoù ar Frankiz » refuse de faire du travail une variable d’ajustement. Cela nécessite que la coopérative soit dotée de fonds propres pour être en mesure de financer les besoins en trésorerie et d’améliorer déjà, dans un premier temps, les délais de paiement aux producteurs. Mais c’est une ambition qui ne peut être atteinte en comptant seulement sur le marché. Pour « Graines de Liberté – Hadoù ar frankiz », ces semences sont un bien commun qui doit être accessible à la grande majorité des agriculteurs, jardiniers, pépiniéristes, restaurateurs, artisans et détaillants. Cela demande de porter l’ambition d’une gouvernance partagée pour aborder en profondeur les difficultés de la socialisation des moyens de production (outils, semences, capitaux) en lien avec les autres acteurs des territoires.
La promotion de semences de variétés populations et la reconnaissance du métier d’artisan semencier sont indissociables de la bataille contre les anciens et nouveaux OGM, contre l’artificialisation et la privatisation du vivant. Parce que c’est un enjeu de territoire, le développement de la production de ces semences est aussi étroitement lié au renforcement des services public en milieu rural. Parce que la semence de variétés populations est un bien commun qui nous permet de mieux comprendre notre rapport aux autres espèces vivantes, la promotion du métier d’artisan semencier a besoin d’une recherche publique indépendante.
Après s’être mobilisée dans les campagnes « Graines d’un Paris d’avenir » et « Graines d’une Bretagne d’avenir », et avoir soutenu la création du Syndicat des Artisans Semenciers, Minga invite donc désormais chacun d’entre vous à soutenir le lancement de la SCIC « Graines de Liberté – Hadoù ar frankiz », en relayant l’initiative auprès de vos connaissances, en commandant des graines, en rejoignant son réseau de partenaires en tant qu’artisan-semencier, en participant au financement de son capital, en s’y associant d’une manière ou d’une autre pour ne pas avoir à dépendre, demain, d’une alimentation sous contrôle des géants de la tech.