Kraftwerk 1: La coopérative d’habitants qui réinvente la ville à Zurich

Kraftwerk(couv.1re)

Éditions du Linteau – septembre 2014 – 123p – 23€

Contrairement à la France où la loi de 1971 de Chalandon a interdit le statut de locataire coopérateur, l’expérience Kraftwerk 1 participe d’un renouveau de cette démarche de coopérative d’habitants qui entreprennent une rénovation urbaine ascendante, sortant le logement de la spéculation urbaine. Ce projet réalisé dans un quartier de la ville Zurich, une place financière où se trouvent de nombreux sièges sociaux de banques de rang mondial, est un tour de force.

Les éditions du Linteau ont eu la riche idée d’éditer en français un ouvrage paru en 1993 à compte d’auteur, de Martin Blum, Andréas Hofer et P.M., un artiste, un architecte et un philosophe, auteurs du manifeste fondateur de la coopérative d’habitant Kraftwerk 1 réalisé en 2001.

Les résultats concrets de cette entreprise coopérative de rénovation urbaine, participe aujourd’hui de la promotion de ce modèle de coopérative d’habitant. Le projet part du principe d’associer dans la coopérative l’habitat, le travail, l’agriculture pour 700 personnes, dans un quartier de la ville Zurich qui était devenu dans les années 70 une friche industrielle et un lieu de trafic de drogue.

La volonté de faire grand est pour les auteurs du manifeste une façon de se confronter à toutes les contradictions inhérentes à ce genre de projet, en premier lieu de s’écarter d’une logique classique de gentrification ( 1) urbaine qui transforme une friche industrielle en loft, qui éloigne les populations modestes, les activités artisanales des centres urbains :« nous ne voulons pas nous contenter d’occuper une niche, nous voulons agir localement dans une perspective planétaire» «nous considérons notre projet mégalomaniaque comme un défi lancé à ceux, jeunes et vieux, qui serait tentés par une expérience captivante. Dans notre ville, entièrement soumise à la planification, il n’y a guère de place pour l’aventure – Kraftwerk 1 pourrait en être une». Le choix du lieu retenu par le projet est le 5e arrondissement de Zurich, un ancien quartier industriel. Un choix assumé, non par défaut pour avoir accès à des terrains pas chers, mais délibéré dans une volonté de se situer sur «le champ de ruines du système industriel» «Il faut commencer par nous débarrasser des déchets que nous avons laissés derrières nous, puis raccorder entre eux les fragments de territoires encore utilisables, les compléter de manière judicieuse et y installer des unités de vie sociale viables. Le lien rompu entre la métropole et l’agriculture doit être rétabli». La première partie de l’ouvrage est une description précise historique et géographique du quartier, marque bien que le projet s’inscrit dans l’histoire d’un lieu, et qu’il n’est pas un modèle communautaire idéologique d’un entre soi militant. La question des conflits et litiges y est abordé d’entrée : «une coexistence pacifique entre l’argent (dont nous ne pouvons pas nous passer) et l’égalité des droits (dont nous ne voulons pas nous passer) n’est évidemment pas possible, même à kraftwerk. L’organisation consistera donc à prévoir ce conflit, ainsi que des moyens de le gérer de la manière la plus ouverte possible. Nous ne pouvons en aucun cas tabler sur le consensus, l’harmonie et l’amitié entre les membres ; nous devons au contraire compter avec le télescopage d’intérêts et de conceptions divergents»

A l’heure où la gestion urbaine est pensée comme une entreprise, où la politique se réduit bien souvent à du clientélisme et de la comm, où la ville disparaît en tant que cité au profit d’une zone urbanisée standardisée et uniforme qui échappe aux besoins et aspirations des habitants et de ceux qui y travaillent, cet ouvrage et l’expérience qui en a suivie est un outil précieux. Il est précieux pour tous militants engagés contre la spéculation foncière et qui ne veulent pas être uniquement sur le registre des «résistances» nécessaires.
Un ouvrage que l’on recommande également chaleureusement « à nos amis » du comité invisible, car il n’y pas seulement des Zones à Défendre, mais également des Zones à bâtir ensemble.

Renonçant à la rhétorique de l’utopie, les trois auteurs écrivaient en 1993 «voilà longtemps qu’il ne suffit plus de protester contre les projets monstrueux des autres ; à nous de développer nos propres visions ! »

Emmanuel Antoine, co-directeur de Minga

Note :
(1)La gentrification (anglicisme créé à partir de gentry, « petite noblesse »). Revalorisation d’un quartier urbain dégradé au moyens d’une large réhabilitation d’un bâti ancien pour des arrivants plus aisés s’approprient un espace initialement occupé par des habitants ou usagers moins favorisés. (retour au texte1)