Non au précariat

Pour une convergence entre syndicats et l’économie sociale et solidaire

C’est de plus en plus visible: l’économie numérique et les plateformes logistiques qui l’accompagnent ont besoin de beaucoup de main d’œuvre et d’énergie. Les GAFAM, puissants acteurs de cette économie, ayant profité à plein de la crise sanitaire, s’attellent à remettre en cause le statut du salariat et toutes les formes de protection sociale relevant de l’employeur, pour imposer celui du donneur d’ordre à une masse de sous-traitants totalement dépendants de ce dernier. Et la promesse de plein emploi, portée par certain.es candidat.es à la présidentielle va dans le même sens : celui du développement du précariat d’un côté et de la stigmatisation de la pauvreté de l’autre.

L’économie sociale et solidaire, par son histoire, en s’inscrivant pleinement dans celle du mouvement ouvrier, a clairement un rôle à jouer avec les luttes sociales, syndicales et citoyennes, qui se soulèvent actuellement pour y faire face. Mais défendre le seul statut coopératif ne suffit pas. Celui-ci n’empêche nullement une évolution capitaliste où la recherche du profit se fait au détriment des conditions travail et de l’environnement. C’est bien connu en Bretagne par exemple où les coopératives agricoles ont accompagné l’industrialisation de l’agriculture et la pollution du territoire (pesticides, marée verte).

En singeant le capitalisme à partir des années 80, les grosses coopératives et mutuelles ont été trop réceptives ou complaisantes avec l’idéologie du « social business » qui a poussé à la privatisation du secteur médico-social.  On en mesure aujourd’hui lourdement les conséquences au niveau de maltraitance vécue par nos aîné.es dans les EHPAD (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes), et de mépris avéré pour les métiers du soin.

Pendant des années, l’économie sociale et solidaire s’est ainsi écartée du mouvement syndical et des luttes sociales tandis que ses organisations patronales épousaient les positions du Médef. Mais dans le même temps, un certain nombre de luttes sociales s’est traduit par la création de coopératives ouvrières, comme la scop TI, ou de coopératives d’activités et d’emplois, avec l’objectif de lutter contre la déconstruction de droits sociaux par le statut d’autoentrepreneur. Ces CAE, en mutualisant un certain nombre de services comptable et d’accompagnement social, ont permis de maintenir une protection sociale attachée au travail d’un bon nombre de travailleuses et travailleurs indépendants en tant qu’entrepreneurs-salariés. Mais le conflit social que traverse aujourd’hui l’une des plus grosses coopératives d’activité et d’emploi « Smart France » montre bien les limites d’une approche qui pense pouvoir défendre la protection sociale uniquement par le développement d’initiative économique, soit-elle coopérative, alors que sans lutte sociale, aucun droit n’est jamais acquis.

Ce n’est pas que le salariat qui est attaqué par le précariat, c’est l’ensemble du monde du travail et des métiers. Les travailleuses et travailleurs indépendants le savent depuis longtemps, qui se retrouvent piégés par des organisations professionnelles vantant les mérites d’une protection sociale liée à la valorisation du patrimoine d’une activité, au point d’y perdre le sens du métier et toute protection sociale attachée à son exercice.

Par le précariat et la stigmatisation de la pauvreté, un nouveau marché du travail se dessine, avec le numérique, mais pas seulement. Face à cette situation, les organisations syndicales et les organisations de l’ESS ne peuvent plus se regarder en chiens de faïence.

Sur la base de leurs valeurs communes, l’émancipation et la démocratie, la lutte sociale et l’initiative économique se doivent de dialoguer et progresser de concert.

Du côté de l’ESS, en clarifiant ses rapports avec le social business.

Du côté des syndicats, en s’impliquant plus fortement dans la lutte contre la précarité dans et avec l’ensemble du monde du travail et des métiers.

Et ensemble, en agissant contre l’économie de prédation et pour une économie de coopération à l’échelle des régions et de l’Europe.