«Les utopies apparaissent comme bien plus réalisables qu’on ne le croyait autrefois. Et nous nous trouvons actuellement devant une question bien autrement angoissante : comment éviter leur réalisation défnitive ?… Les utopies sont réalisables. La vie marche vers les utopies. Et peut-être un siècle nouveau commence-t-il, un siècle où les intellectuels et la classe cultivée rêveront aux moyens d’éviter les utopies et de retourner à une société non utopique, moins parfaite et plus libre». Épigraphe du Meilleur des mondes, Nicolas Berdiaeff
Les adhérents de Minga sont des artisans, certains par leur statut, toutes et tous par l’idée qu’ils se font de leur travail et de leur métier. Les problèmes concrets auxquels ils se confrontent, le tumulte du monde auquel ils se frottent pour vivre dignement de leur travail, font qu’ils ressentent le besoin d’un dialogue, soutenu et exigeant, avec les communautés scientifiques. Tous se revendiquent producteurs d’intérêt général, en partant de leurs engagements professionnels, non réduits à un argument commercial. C’est en se sens que Minga s’assume comme une organisation professionnelle et politique et se sent très concernée par les débats qui entourent la diffusion massive de nouvelles technologies et leurs interactions avec les enjeux sociaux, écologiques et démocratiques.
Le retour en force d’idéologies scientistes nous préoccupe à cet égard au plus haut point. Le danger monopolistique que représentent les firmes de la GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon) ne porte pas uniquement sur la privatisation des connaissances et une captation massive et rarement consentie des données (le modèle Big Data). Ces entreprises portent également le dessein idéologique d’un projet de société où des algorythmes anticipent des besoins sociaux avant même qu’ils ne soient formulés. Tout ce qui n’est pas prédictible en terme de comportement, tout ce qui n’est pas situé dans des « nuages de points » définis par des sociostyles pré-établis, le comportement même d’un être humain, versatile, faillible et mortel, devient asocial. Les objets connectés comme Écho, le cylindre connecté d’Amazon, rentrant dans les foyers, agissent ainsi comme un cheval de Troie qui participe un peu plus chaque jour à l’annexion même de la vie privée. Orwell, dans son ouvrage 1984, n’avait pas osé l’imaginer, chez lui le télécran était imposé d’office.
Il y a dans tout cela une volonté de planification des comportements et des émotions, une volonté d’ériger le marketing en science. Mais sans plus laisser de place aux incertitudes, au scepticisme et aux doutes humains qui fondent pourtant les sciences dans la capacité à formuler des hypothèses ou à les réfuter. Ce n’est pas le fonctionnement de la machine qui est en cause, mais l’humain qui doit « se remettre en question » si son comportement n’est pas conforme à un usage qui lui est assigné par un algorithme.
Ce projet de société véhiculé par les multinationales de la GAFA et singulièrement Google, qui en est l’un des plus gros pourvoyeurs de fonds, porte un nom, c’est le transhumanisme : le projet d’un individu augmenté dans une société diminuée. La convergence des nanotechnologies, de la biologie, de l’informatique et des sciences cognitives à laquelle la firme Google participe et qu’elle finance massivement, traduit bien son ambition et l’ampleur des questions que soulève un projet politique d’artificialisation, de technicisation du corps humain. Ce programme de technicisation, voire de dématérialisation du sujet, est présenté comme un mouvement de libération de l’homme indispensable et inéluctable. Mais le transhumanisme investit dans la technique une mission politique qu’il est dès lors essentiel d’interroger dans ses fondements. Le discours transhumaniste doit être déconstruit comme doivent être déconstruits certains discours technophobes qui, derrière la posture d’une réflexion éthique sur les dangers de la technique, reconduisent, terme à terme, une morale essentialiste de l’authenticité des corps et de l’humain.
On pouvait penser que l’explosion de la bombe nucléaire sur Hiroshima et Nagasaki avait mis un coup d’arrêt aux idéologies scientistes du siècle dernier et que le débat science, culture et société était devenu une exigence pour l’humanité. On pouvait supposer que les progrès de la génétique et de la procréation in-vitro avaient fait de ce dialogue une exigence nécessaire1. Mais l’offensive idéologique actuelle du transhumanisme montre qu’il n’en est rien.
Le transhumanisme réouvre la boite de Pandore à l’eugénisme. Face aux questions abyssales que cela soulève, le dialogue sciences, cultures, sociétés devient plus que nécessaire, il est urgent de l’alimenter et de l’élargir. Chacun y prenant sa part sans confusion des rôles.
Un dialogue exigeant qui appelle à rester apprenant, notamment de ses propres pratiques. Pour notre part, cela conduit à un examen lucide, sans complaisance et parfois douloureux, de nos propres contradictions entre les objectifs poursuivis et les actions accomplies. La modestie des moyens ne devant être une excuse au refus de comprendre.
Un dialogue exigeant qui considère que les actions du monde du travail et des métiers ne sont pas à réduire à des sujets d’étude. Les lieux de travail ne peuvent pas être réduits à des supports pédagogiques pour apporter un témoignage, ni des terrains de stage pour des cursus universitaires.
Un dialogue qui considère que nul n’est détenteur à lui seul de la production de connaissances, que nul n’est détenteur à lui seul de l’intérêt général.
Un dialogue qui prend la mesure de l’importance de notre rapport à la culture, à l’art et au sensible, à toutes les formes du vivant et au temps.
C’est donc avec enthousiasme et de fortes attentes que Minga adhère à l’association ALLISS « pour une Alliance Sciences Sociétés »
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1– Par son ouvrage « œuf transparent » en 1986, la contribution de Jacques Testard mérite d’être saluée
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