Contribution de Minga aux rencontres d’automne 2018 du réseau Ecobâtir à Carro sur la thématique « Travail, production et métiers »

30 nov -1-2 dec à Marseille et Martigues / La Couronne

Chers amis, chers partenaires,

Le thème de vos échanges lors de vos prochaines rencontres ne peut que retenir notre attention.

A partir d’un constat commun sur les normes industrielles (Contre la consommation dirigée, Pour une démarche citoyenne), nous compagnonons avec le réseau Ecobâtir depuis 2008. Les échanges que nous avons eu ensemble ont contribué à repositionner Minga dans le monde du travail et des métiers en 2013.

Ce positionnement est d’abord une réaffirmation d’avoir comme ligne d’horizon l’intégralité de l’article 23 de la déclaration universelle des droits de l’Homme. Cela n’a pas été une simple formalité car la grande majorité de nos adhérents a une vision très critique des organisations professionnelles de leur secteur d’activité respectif qu’ils jugent bureaucratiques, vieillissantes et éloignées de leurs préoccupations d’intérêt général. Nos adhérents les considèrent comme des clubs de « petits patrons » qui, pour se dire représentant de TPE et PME, ne signent pas moins tous les accords avec le MEDEF. Si la plupart de nos adhérents ont été conduit à créer une entreprise pour avoir une vie professionnelle qui soit davantage en harmonie avec leurs convictions, c’est avant tout pour se réaliser dans un travail avec d’autres (salariés, clients, fournisseurs, investisseurs). Or ces organisations professionnelles, en s’adressant exclusivement à l’État pour défendre une niche fiscale, une exonération de cotisation sociale, un régime dérogatoire, du fait qu’elles s’estiment seules détentrices de l’intérêt général, illustrent la définition même du corporatisme. Leur nature réactionnaire ne les empêche nullement d’accompagner l’industrialisation de leurs secteurs d’activités. C’est manifeste dans le cas du secteur agricole où on ne sait plus très bien par exemple si la FNSEA est un syndicat agricole ou un lobby agro-industriel.

Pour certains adhérents, ceux qui travaillent avec de la matière, la référence au métier est évidente, pour d’autres, quand leur activité relève des services, elle est plus complexe à assumer et à affirmer. Les préjugés idéologiques qui pèsent sur une activité commerciale notamment sont tenaces (la grande surface « démocratise», le petit commerce spécule). On a bien connu cela dans le commerce équitable où le commerçant, considéré suspect par nature, doit faire preuve de transparence mais où le producteur en est exonéré parce que considéré d’entrée comme une victime du marché.

Pour nous, le métier et sa pratique sont attachés à une personne, indépendamment de son statut, qu’elle soit ou non en emploi, qu’elle soit ou non salariée. Dit autrement, nous critiquons une définition restrictive du métier qui se résumerait à exercer une activité exclusivement en nom propre. Si nous interrogeons le salariat (et plus précisément le lien de subordination qui entretient une hiérarchie du droit fondée sur la primauté du droit de propriété des moyens de production), nous ne remettons pas en cause la conquête de droits sociaux qu’il représente (assimiler salariat et organisation taylorisée du travail est une erreur). La sortie du salariat par le statut d’auto-entrepreneur fait revenir au contrat de louage et à un marché du travail organisé par des nouveaux placiers : des plateformes numériques pratiquant un nouvel esclavagisme d’un côté et l’optimisation (fraude) fiscale de l’autre. Pour autant, nous sommes bien conscients que la culture du salariat pèse dans la difficulté à partager des responsabilités de gestion. Le fait d’assumer une double qualité d’associé et de salarié dans une coopérative, est loin d’être un long fleuve tranquille. Il ne suffit pas de totémiser les valeurs abstraites de l’économie sociale ou de ritualiser des formes d’organisation horizontale. Face à l’épreuve, beaucoup en viennent à épouser une idéologie de « petit patron ».
Si nos activités se situent dans le marché, nous sommes bien conscients que les objectifs sociaux que nous poursuivons ne trouveront pas de solution exclusivement avec la croissance d’un marché.
À ce sujet, l’évolution agro-industrielle actuelle du marché de la bio, qui en devient l’avenir de l’agro-industrie, doit être regardée en face. Certains ont cru que l’on pouvait articuler le bio (en tant que secteur d’activité) et la bio (en tant que projet de société). Aujourd’hui, c’est bien l’un contre l’autre que cela se joue, car le secteur d’activité de la bio est passé aux mains de l’agro-industrie. La croissance du marché n’a que peu d’impact sur l’érosion de la biodiversité, elle n’endigue en rien l’effondrement des insectes et des oiseaux. Contrairement aux objectifs publics annoncés pour 2020, l’usage de pesticides est reparti à la hausse en 2017. La question n’est donc pas de faire croître un marché (avec des signes de qualité qui certifient un produit ou un savoir-faire) dans l’espoir qu’il modifie les modes de production industrielle, mais bien d’inverser la charge de la preuve et en l’occurrence, ici, en militant pour interdire l’usage des pesticides. Ce n’est pas à ceux qui ont le souci de l’intérêt général de justifier qu’ils exercent bien leur métier, mais à ceux qui polluent, gaspillent, conçoivent et réalisent des ouvrages qui sont des passoires énergétiques.
Bien fixer l’objectif politique, cela permet de rester lucide et d’examiner l’évolution d’un contexte. Cela évite de croire que l’on peut ruser avec l’État (en se prenant pour des « spécialistes de la solution du problème »*), et de déserter le terrain de la relation à la chose publique. La marge de manœuvre est étroite, elle oblige à rehausser le niveau d’ambition politique.

Quand le travail humain est de moins en moins reconnu comme le premier facteur de production, quand tout est fait pour le rendre invisible et masquer les conditions de son exploitation, tout ce qui contribue à valoriser le travail, les métiers, les conditions de production et de répartition des richesses est important car cela concourt à l’intérêt général : celui d’étendre et d’élargir la démocratie pour faire face au défi écologique.

En vous souhaitant belles rencontres.

*Hannah Arendt, Du mensonge à la violence. Essais de politique contemporaine, trad. G. Durand, Paris, Calmann-Lévy, 1972